Michel Teyssedou,ancien président national des JA « Un chemin à retracer à chaque génération »
Michel Teyssedou, l’ancien président national des Jeunes Agriculteurs, se rappelle ici les grands principes qui ont présidé à l’agriculture de son époque : intensification et mécanisation. Ceux qui émergent aujourd’hui, portés par son propre fils, semblent aller à rebours.
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Dans le beau documentaire Nous paysans, diffusé le 23 février 2021 sur France 2, Michel Teyssedou, ancien président national des Jeunes Agriculteurs et maire de Parlan (Cantal),
disait sa fierté de voir son fils tracer son propre sillon. « Il a remis en cause le système de production que j’avais moi-même développé sur l’exploitation. Alors que la première chose que j’avais faite en m’installant avait été d’acheter une charrue, lui l’a revendue et est parti en semis direct. Sur nos sols pentus et très caillouteux, force est de constater que le labour favorisait l’érosion. Sans m’en rendre compte, j’étais en train de ruiner les terres de mes petits-enfants. » Comme cela se faisait à l’époque, il avait arasé des talus pour défricher et rendre des parcelles mécanisables.
« Nous étions pris dans le tourbillon de la maîtrise technique »
« Nous étions pris dans le tourbillon de la maîtrise technique et de la massification du lait produit. » Le contexte, il est vrai, était très différent de celui d’aujourd’hui. Dans les années 1960-1970, les agriculteurs ont assumé les missions que leur assignait la nation : produire une nourriture pas chère et en quantité suffisante.
« Nous n’avions qu’un seul objectif : rendre viable et rentable ce qui nous avait été transmis, en augmentant les quantités produites. Nous ne nous posions pas de questions périphériques. Nous avons fait le choix du développement vertical, en ne nous installant pas au détriment du voisin. À l’époque sur notre territoire de la Châtaigneraie, l’exploitation moyenne faisait 18 ha. Pour s’en sortir sur une surface aussi limitée, il fallait intensifier les productions fourragères et laitières avec l’aide des Cuma et des coopératives. » Aujourd’hui, la prise de conscience de l’importance de la vie bactérienne des sols ainsi que du travail des racines des végétaux est précieuse.
« Nourrir le sol avant qu’il nous nourrisse »
« Mon fils a apporté un regard neuf sur cette réalité et a conçu un autre schéma. Outre le semis direct, il a introduit des nouvelles espèces – luzerne, lotier, sainfoin – autrefois cultivées par les grands-parents. Nous avons redécouvert le mérite de nourrir le sol avant qu’il nous nourrisse. Le maïs ensilage a été réduit au profit du maïs grain. Les déchets servent de couverts végétaux dans lesquels on sème des méteils ensilés au printemps. » En suivant ce nouveau chemin, l’exploitation n’a rien perdu. Au contraire, en réduisant la fertilisation chimique, elle a gagné économiquement, tout en améliorant les conditions de vie de ses travailleurs.
Les enjeux à relever aujourd’hui sont beaucoup plus importants que ceux d’hier : outre la sécurité alimentaire, il faut assurer la ressource en eau et en énergie, s’adapter au changement climatique. « Après les excès de la massification de la production, il ne faudrait pas tomber dans un autre, celui de la décroissance », avertit Michel Teyssedou, pour qui il est possible de concilier une transition écologique avec une agriculture productive résiliente et vertueuse qui mise sur l’intelligence collective. À condition toutefois de ne pas oublier les leçons des années 1957-1984. « Si la France a relevé le défi agricole alimentaire, c’est non seulement grâce à la loi d’orientation d’Edgar Pisani, mais c’est aussi grâce au Forma, le Fonds d’orientation et de régularisation des marchés agricoles. La seule fixation des prix par le marché est aveugle et peut décourager. » Avec sa mère, Michel Teyssedou a trait à la main 30 000 litres de lait. La ferme en produit 700 000 aujourd’hui. « Si le litrage a été multiplié par plus de 20, le revenu n’a pas suivi la même progression. »
« Ce n’est pas la terre qui va manquer, mais les bras »
En un siècle, le nombre d’agriculteurs est passé de 5 millions à 400 000. Dans cent ans, combien seront-ils ? « Compte tenu de la restructuration qui s’est faite en agriculture, et de l’agrandissement des exploitations agricoles, ce n’est pas la terre qui va manquer, mais les bras, analyse l’ancien président national des JA. Il n’existe plus assez de fils de paysans pour relever le défi. Si les responsables professionnels ne sont pas capables d’ouvrir en grand les portes de l’agriculture, alors les défis à relever le seront par des sociétés de capitaux, ce qui entraînera une déshumanisation des relations culturelles et historiques filiales que le monde agricole a tissées. La profession doit contribuer à bâtir des solutions politiques publiques aux niveaux régional, national et européen. » Le temps presse. Combien de temps encore la société portera-t-elle un regard bienveillant sur son agriculture ? « Quand les agriculteurs ne représentent plus que 2 % des actifs, ils ont perdu le pouvoir de faire ou défaire l’élection présidentielle. Sur certains sujets, nos concitoyens adoptent des positions idéalistes, sur le glyphosate par exemple, en condamnant sans appel les agriculteurs par ignorance ou incompétence. Il est temps de faire du monde agricole un nouveau contractant pour relever les défis économiques et environnementaux. »
Dans un tel contexte, outre la maîtrise technique, économique et financière, les JA devront surtout avoir de réelles valeurs humaines. « Le métier dépasse le petit intérêt personnel. Il s’inscrit dans un challenge sociétal, réclame beaucoup d’altruisme et d’implication dans des schémas solidaires et coopératifs. C’est l’humain, et non la connaissance technique (qui peut toujours s’acquérir plus tard), qui fera la différence. Comme à toutes les époques, s’installer et relever les défis de demain reste passionnant. Cela demande de l’énergie, de la passion et un peu de raison. »
Anne Bréhier(1) Un film de Fabien Béziat et Agnès Poirier.
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